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Fontenay-le-Comte, « source de beaux esprits »


Fontaine des Quatres Tias

Le visiteur qui se balade aujourd’hui dans les rues de Fontenay-le-Comte peut être surpris par la densité d’hôtels particuliers, de logis, de monuments construits à l’époque moderne. Cet important patrimoine s’explique en partie par la position de Fontenay-le-Comte comme capitale du Bas-Poitou du XIIIe siècle à la Révolution, puis par son éphémère statut de préfecture de la Vendée. Parmi les époques qui ont marqué l’histoire de la cité, la « Renaissance » se démarque tout particulièrement : au XVIe siècle, Fontenay figure avec Poitiers et Paris dans les villes où l’humanisme se développe. Né en Italie au XIVe siècle, basé sur les préceptes des philosophes antiques, l’humanisme place l’Homme au centre de la pensée. Et plusieurs des grands humanistes français ont vécu, tout ou partie de leur vie, à Fontenay-le-Comte.

Comment expliquer ce phénomène, qui vaut à Fontenay d’être qualifié de « source de beaux esprits » par François Ier lui-même ? D’une part par la proximité de la ville avec Poitiers, alors l’une des grandes universités françaises (le géographe allemand Münster la place en deuxième position derrière la Sorbonne), réputée notamment pour la qualité de son enseignement en droit, et par laquelle beaucoup d’administrateurs bas-poitevins sont passés. L’Université de Poitiers a également vu passer des auteurs célèbres, comme Du Belay, Scévole de Sainte-Marthe, Brantôme, tous humanistes. Autre facteur dans le développement de l’humanisme à Fontenay : la cité est une ville de marchands et de négociants, qui commercent avec la Rochelle et Poitiers et qui, pour beaucoup, se convertissent au protestantisme. Cette élite aisée est ouverte aux idées nouvelles et c’est parmi elle que se développe l’humanisme.

Juristes, avocats, officiers, clercs, voici quelques exemples de ces humanistes fontenaisiens.


André Tiraqueau

S’il n’est pas le plus connu des humanistes, André Tiraqueau est l’un de ceux sans qui cette doctrine n’aurait pas pu avoir autant d’écho à Fontenay. Né dans la capitale du Bas-Poitou en 1488, fils d’un notaire de Luçon, André Tiraqueau suit des études de droits à Poitiers. Dès 1512, il est juge châtelain de Fontenay, où il se marie avec la fille du lieutenant criminel et particulier (un officier de justice, comme lui), et devient par la suite lieutenant-général du sénéchal du Poitou. Ces deux premiers ouvrages, parus tous les deux en 1513 - une édition du travail de Francesco Barbaro, un humaniste italien, et une réflexion personnelle sur le droit marital (où il exalte le pouvoir du mari sur son épouse) - sont fondamentaux : Tiraqueau revisite la Coutume du Poitou (texte juridique médiéval) à la lumière du droit romain et du droit canon. En 1541, Tiraqueau est appelé à Paris par François Ier, qui lui offre un poste de parlementaire. Le fontenaisien se lie d’amitié avec des grandes figures du temps, comme le chancelier Michel de l’Hospital ou le théoricien calviniste Théodore de Bèze. C’est dans l’hôtel du beau-père de Tiraqueau, que les humanistes fontenaisiens se réunissent, et c’est là que deux figures de l’humanisme font leurs armes : François Rabelais et Guillaume Budé.

François Rabelais

Sans doute le plus célèbre de tous, le père de Gargantua et de Pantagruel, né près de Chinon d’un père avocat, se retrouve à Fontenay dans des circonstances floues. Il est moine au couvent des Cordeliers de la ville , où il fait la connaissance de Pierre Amy, qui avait appris le latin et le grec (chose rare) avant d’entrer au couvent. Introduit dans le cénacle des juristes de la ville, Rabelais s’imprègne de la culture juridique qui se retrouve dans son œuvre : le Tiers-Livre n’est qu’une reprise du travail de Tiraqueau sur la femme, agrémentée d’éléments tirés de discussions entre l’écrivain et le juriste, et le Quart Livre fait l’éloge du « bon, docte, sage, tout humain, tout débonnaire et équitable André Tiraqueau ». Après s’être attiré les foudres de la toute puissante faculté de théologie de la Sorbonne, qui accuse Rabelais et Lamy d’être presque hérétiques parce qu’ils retournent aux fondements de l’écriture sainte, les deux moines quittent Fontenay. Pierre Lamy se réfugie en Suisse où il se convertit au protestantisme, Rabelais rejoint l’abbaye-cathédrale de Maillezais, où il se place sous la protection de l’évêque Geoffroy d’Estissac, grand admirateur des humanistes. Secrétaire de l’évêque, Ravelais voyage avec lui et découvre les joyaux architecturaux de la Renaissance, notamment le château de Bonnivet : c’est ce château et l’abbaye-cathédrale de Maillezais qui sont les modèles de l’abbaye de Thélème dans Gargantua. Rabelais quitte le Bas-Poitou au bout de huit ans seulement, mais ce séjour marque toute son œuvre, jusque dans les expressions qu’il utilise parfois, dans les légendes qu’il mentionne et dans les mœurs de certains de ses personnages.

Barnabé Brisson

Né à Fontenay en 1531, Barnabé Brisson est le fils du lieutenant au siège royal de Fontenay (représentant du roi). Passé ses études de droits à l’université de Poitiers, il est remarqué par Henri III, pour qui il assure le lien entre la Couronne et le Parlement de Paris, où il ne tarde pas à être avocat général puis président à mortier. C’est à Brisson que l’on doit le Code Henri, qui simplifie grandement la législation du royaume de France. Malgré l’exil du Parlement, qui quitte Paris assiégée par Henri IV en 1590, Barnabé Brisson reste dans la capitale où il est exécuté par les extrémistes de la Ligue Catholique, qui le jugent trop modéré. Au final, Barnabé Brisson n’aura pas passé beaucoup de temps dans sa ville natale, mais son œuvre juridique marque le XVIe siècle.

François Viète

Cousin de Barnabé Brisson, né en 1540 à Fontenay, François Viète est peut-être le scientifique le plus connu du XVIe siècle. Fils du procureur du roi (chargé de représenter le roi lors des procès) de Fontenay, petit-fils d’un marchand de Foussais, François fait ses études de droits à Poitiers puis devient avocat dans sa ville natale, conseiller au Parlement de Bretagne puis au Parlement de Paris, maître des requêtes du parlement et conseiller du roi. Passionné par les mathématiques et intéressé par toutes les sciences, François Viète est chargé de l’éducation de Catherine de Parthenay, fille du seigneur protestant du Parc Soubise ; c’est dans ce château, à Mouchamps, qu’il compose son premier ouvrage, le Canon mathématique. Disgracié à plusieurs reprises en fonction des changements de souverain, Viète passe de plus en plus de temps en Bas-Poitou, notamment à Beauvoir-sur-Mer où il compose L’art analytique. C’est en 1591 qu’il publie son œuvre fondamentale, De l’analyse mathématique, ou algèbre nouvelle, où il expose les principes de l’algèbre moderne et de l’aide des lettres dans la résolution de calculs complexes. En parallèle, Henri IV demande au mathématicien de percer le code secret des Espagnols, ce que François Viète exécute brillamment. S’il est resté catholique officiellement, François Viète n’en est pas moins ouvert aux idées protestantes et va même jusqu’à refuser la confession à sa mort, en 1603 (du moins y consent-il seulement pour que sa fille puisse se marier).

Nicolas Rapin

Né en 1539 à Fontenay, également sorti de la faculté de droit de Poitiers, Nicolas Rapin est avocat à Paris, avant de revenir à Fontenay dont il est élu maire en 1569 (c’est à ce poste qu’il défend la ville contre les protestants lors du siège de 1569). En 1576, il est sénéchal du Bas-Poitou, et en 1586 lieutenant-criminel de robe courte à Paris. Grand Prévôt de la Connétablie de France (sorte de ministre des Finances couplé à un ministre de la guerre), Nicolas Rapin est anoblie pour faits d’armes par Henri IV en 1592 : c’est alors qu’il entame la construction du château de Terre-Neuve (au sens de terre nouvellement noble), l’un des joyaux de la Renaissance en Bas-Poitou. Parallèlement à sa carrière politique, Nicolas Rapin joue avec les rimes, en latin comme en français. Il est ainsi l’un des principaux contributeurs de la Satyre Ménipée, texte de soutien à Henri IV publié par des catholiques en 1594. Gravitant autour de la Pléiade, Rapin converse avec des auteurs comme Ronsard et Baïf. Retiré à Terre-Neuve, où il meurt en 1608, il entretient également une étroite relation avec Agrippa d’Aubigné, son ancien ennemi qui le qualifie d’un « des plus excellents esprits de son temps ».

Lancelot Voisin de la Popellinière

Sieur de la Popellinière (Sainte-Gemme-la-Plaine), cousin du poète humaniste Jacques Béreau (sénéchal de Puybelliard qui chante la douceur du Bocage et du Lay), Lancelot Voisin est issu d’une famille de marchands de draps du côté de sa mère, et de fermiers (au sens ancien, c’est-à-dire d’administrateurs d’une terre pour le compte du seigneur) du côté de son père. Passé par la faculté de droit de Poitiers, il se convertit au protestantisme et gagne Toulouse, où il participe au soulèvement contre les catholiques et où il défends des positions modérées pendant près de douze ans, au cœur des guerres de Religion. En 1575, il prend d’assaut et enlève l’Île de Ré, puis devient gouverneur de Marans (Charente-Maritime), où il est blessé lors d’un duel contre l’un de ses capitaines. La fin de sa carrière militaire lui permet de se consacrer à l’écriture. Déjà en 1571, Lancelot Voisin publiait la Vraie et entière histoire des troubles, où il racontait sa vision des premières guerres de Religion. L’œuvre est tellement impartiale que, bien qu’écrite par un protestant, elle est reprise mot pour mot par le catholique Jean le Frère de Laval qui s’en sert pour défendre la cause catholique ! C’est ce qui pousse le sieur de la Popellinière à publier en 1581 son Histoire de France. L’œuvre est un modèle d’historiographie pour le XVIe siècle : l’auteur visite lui-même la presque totalité des lieux dont il parle, il s’appuie sur des témoignages et fait preuve d’une grande impartialité ; ce qui lui vaut des attaques des catholiques et des protestantes, ces derniers le considérant dès lors comme un traître vendu aux catholiques. Compilateur de récits de voyages, auteur de traités sur la colonisation (Les Trois Mondes et L’Amiral de France), Lancelot Voisin, sire de la Popelinière, est considéré par certains, en raison de son impartialité et de sa méthode, comme l’un des fondateurs de l’histoire moderne.

Théodore Agrippa d’Aubigné

Personnage sulfureux s’il en est, poète, historien, chef de guerre, pamphlétaire, Théodore Agrippa d’Aubigné est issu d’une famille protestante : son père perd sa fonction de juge à Pons (Charente-Maritime) lors de sa conversion. Capable de lire aussi bien le français et le latin que le grec et l’hébreu, le jeune Agrippa accompagne son père à Paris, en passant par Amboise où il passe devant les corps des suppliciés de la « conjuration » qui ont tenté d’enlever le roi François II (1559), ce qui joue peut-être dans sa radicalisation. Etudiant du Quartier Latin, il fuit Paris au début des guerres de Religion pour Genève. Son père, tué en 1566, lui laisse d’énormes dettes qu’Agrippa va éponger par la guerre. Rentré en Saintonge puis appelé par le roi Henri de Navarre (le futur Henri IV) pour l’aider à s’évader de Paris, d’Aubigné se signale par son audace : en 1580, il prend d’assaut la ville fortifiée de Montaigu, assiège ensuite Clisson et Beauvoir avant d’enlever l’île de Noirmoutier. Le 31 décembre 1588, Agrippa d’Aubigné attaque et s’empare de l’abbaye-cathédrale de Maillezais : il en prend le contrôle pour plus de vingt ans.

Las de la guerre, déçu par la modération d’Henri IV, Agrippa d’Aubigné se retire sur ses terres de Mursay, près de Niort, ou dans l’abbaye de Maillezais qu’il occupe et qu’il ruine (avec l’aide de son fils) à tel point que l’église perd son statut de cathédrale. Dès 1577, il se lance dans la rédaction des Tragiques, long poème satyrique et lyrique publié finalement en 1616, clandestinement, sous le pseudo L.B.D.D. : « Le Bouc Du Désert ». Agrippa d’Aubigné se fait aussi historien dans l’Histoire Universelle, qui relate les guerres religieuses en Europe de 1553 à 1602. Ses ouvrages condamnés en 1620, d’Aubigné se retire complètement et s’exile à Genèvre, où il meurt en 1630.

Accessoirement, Agrippa d’Aubigné est le père de Constant d’Aubigné, à qui il laisse la gestion de l’abbaye de Maillezais. Fraudeur, conspirateur, faux-monnayeur, proxénète, Constant passe de prison en prison. C’est d’ailleurs dans l’une de ces prisons que naît sa fille, Françoise d’Aubigné, plus connue sous son nom de cour : Madame de Maintenon.



Que reste-t-il de cette période à Fontenay ? Principalement un important patrimoine : logis et hôtels particuliers, le château de Terre-Neuve, la Fontaine des Quatre Tias (quatre tuyaux en poitevin), plus vieille fontaine classique de France construite en 1542, l'hôtel "de la sénéchaussée", les maisons à arcades de la place Belliard, quelques pans de l'église Notre-Dame, etc.


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