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"Les Trente Voleurs de Bazoges" : une complainte du XVIe siècle

Dernière mise à jour : 25 mars 2020


Combat entre des soldats et des brigands. Gravure par Jacques Callot, 1622

Pour occuper un peu cette période difficile de confinement et d'anxiété, je vous propose de vous changer les idées en musique, avec une vieille chanson intitulée Les Trente Voleurs de Bazoges... tout un programme donc.

Les Paroles

Il n'y pas grand-chose à dire sur les paroles en elles-mêmes. La chanson raconte l'histoire de 30 voleurs, ou plutôt d'un de ces voleurs, arrêté, jugé et condamné pour ses larcins. Outre le fait qu'en allant à Rennes nos voleurs avaient plus de chance de voler le duc de Bretagne que le roi de France, le thème est très classique : le voleur, voyant sa mort proche, fait part de ses regrets et de son amour pour sa femme. En fait, c’est le contexte de cette complainte, et son lien avec trois autres textes qui sont très intéressants.


Le contexte

Cette complainte a été mise en forme dans les années 1580 en Poitou. Voici quelques éléments de contexte que l’on peut rattacher à ces paroles.

Le jeudi 3 février 1583, Nicolas Rapin, vice-sénéchal de Fontenay-le-Comte, accompagné de 25 hommes de la garnison de la ville de Fontenay, attaque et capture entre 40 et 50 brigands qui pillaient et rançonnaient les habitants du bocage autour de Réaumur. Parmi les brigands se serait trouvé un soldat de Fontenay, rapidement emmené en ville et pendu. La complainte a vraisemblablement été rédigée en s'inspirant de ces faits. Quant à son lien avec Bazoges, on peut toujours supposer que quelques brigands venaient de la paroisse de Bazoges-en-Pareds, qui n'est pas très éloignée de Réaumur. Mais il s'agit plus certainement d'un choix de style de la part de l'auteur. Les seigneurs de Bazoges à l'époque sont connus dans la région et dans le royaume, grâce à leur immense propriété foncière et leur présence à la cour : il ne devait pas être très difficile pour un paysan bocain ou pour un noble poitevin de situer l'action si le nom de Bazoges est mentionné dans la chanson.


Un "hit" national

Deux autres chants contemporains des Trente Voleurs, mis en forme tous les deux au début des années 1580, ont des paroles très similaires : la Chanson nouvelle sur les regrets d'un voleur nommé Clapambou écrite à Toulouse en 1583, et la balade anglaise Newlyn Town (1). Ces trois complaintes ont en commun leur thème : un voleur seul ou un groupe de brigands regrettant leurs crimes passés au moment de grimper sur le gibet ou sur le bûcher.

Il existe une quatrième chanson, étonnamment similaire aux versions poitevine et toulousaine, écrite bien plus tardivement mais bien plus célèbre : la Complainte de Mandrin, chantée par Yves Montand en personne (2) ! Louis Mandrin, né en 1724 dans le Dauphiné, était un brigand ayant donné énormément de fil à retordre aux armées du roi de France et du duc de Savoie. Condamné pour bagarre en 1753, son frère pendu pour faux-monnayage la même année, Louis Mandrin se lance dans la contrebande de tabac et regroupe de plus en plus de partisans, jusqu'à commander une centaine d'hommes en 1754. Arrêté, il est roué vif et meurt le 26 mai 1756, à Valence, devant 6 000 personnes. La complainte de Mandrin est composée dans la foulée.

Le truc avec la Complainte de Mandrin, c'est que les paroles sont exactement les mêmes que celles des Trente Voleurs. Il suffit de retirer les deux vers centraux de chaque strophe, qui ne sont que des répétitions des vers autour, pour retrouver exactement le même rythme que la version poitevine. Et puis le texte de la Complainte grouille d'erreurs. Ce ne sont pas « vingt ou trente » voleurs qui rejoignent Mandrin, mais plus d'une centaine ; il n'a jamais volé de curé et ne vendait pas sa marchandise en Hollande, préférant la contrebande pour aider les plus démunis ; il n'est pas mort à Grenoble mais à Valence. Bref, la Complainte de Mandrin n'est en fait qu'une copie de chants plus anciens, principalement les Trente Voleurs de Bazoges, et la Chanson de Clapambou. Si Mandrin est plus célèbre aujourd'hui, c'est grâce à sa reprise par les révolutionnaires, puis par les Communards de 1871 et enfin par des chanteurs célèbres comme Yves Montand.


En soi, les Trente Voleurs de Bazoges ne présente pas un grand intérêt historique, 99% des paroles racontant une histoire fictive. Mais la chanson permet d’avoir un éclairage sur son contexte de création. Mettre en chanson un événement comme l’arrestation d’une bande de brigands est un acte politique, qu’il s’agisse de défendre les voleurs ou de glorifier le héros qui les a arrêté. Surtout, la reprise du thème, des paroles et sans doute aussi du rythme des Trente Voleurs dans la Complainte de Mandrin deux siècles plus tard montre que cette chanson n'était pas si locale que ça, et qu'elle a eu un certain échos parmi la population jusqu'à la veille de la Révolution, avant d'être éclipsée par Mandrin. Les raisons de ce remplacement sont sans doute multiples, mais on peut avancer que les révolutionnaires, qui ont popularisé la complainte, voyait en Mandrin un précurseur, résistant aux impôts et aux armées du roi.



Notes :

(2) Pour les paroles de la complainte et une petite analyse : https://www.mandrin.org/paroles-la-complainte-de-mandrin.html

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